Emile
Hugel -
Témoignage d’un viticulteur alsacien
Reber 2003 / 6.11 €
- 40 ffr. / 284 pages
FORMAT : 23x30
cm
Présentée par
André Hugel.
L'auteur du compte rendu: Agrégé et
docteur en histoire, Jean-Noël
Grandhomme est l'auteur d'une thèse,
"Le Général Berthelot et l'action
de la France en Roumanie et en Russie
méridionale, 1916-1918" (SHAT,
1999). Il est actuellement PRAG en
histoire contemporaine à l'université
"Marc Bloch" Strasbourg II.
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But de guerre
«principal» de la France en 1914,
fédératrice et symbole de
l’unification allemande de 1871 et
butin commun de tous les États
allemands, l’Alsace-Lorraine fut le
théâtre des premiers affrontements de
la Grande Guerre au cours du mois
d’août 1914. Finalement, au bout de
trois semaines de combats, seul le sud
de l’actuel département du Haut-Rhin
devait rester aux mains des Français,
tandis qu’ils se voyaient contraints
d’évacuer (au prix de pertes
énormes) Mulhouse, Colmar et
Sarrebourg, et que le rêve de hisser le
drapeau tricolore sur la flèche de la
cathédrale de Strasbourg
s’évanouissait pour plus de quatre
ans. Désormais située à l’arrière
immédiat du front, l’Alsace demeurera
dans la «zone des armées» pendant
toute la guerre.
La chronique publiée ici par André
Hugel a été écrite par son
grand-père, né Français en 1869 à
Riquewihr, joyau du vignoble alsacien.
Devenu Allemand après que la France
vaincue eut signé le traité de
Francfort en mai 1871, il retrouva sa
nationalité française par la grâce du
traité de Versailles en juin 1919.
Allemand de fait (néanmoins toujours
Français en droit) après la seconde
annexion de l’Alsace-Moselle, cette
fois par le Reich nazi, en juin 1940
(sans aucun traité), il mourut
Français dans son village natal en
1950. Émile Hugel est donc pleinement
représentatif de cette génération
d’Alsaciens-Lorrains qui changea
quatre fois de nationalité au cours de
son existence. Blessé au ventre par un
coup de pied de cheval dans son
adolescence, Hugel n’effectua pas de
service militaire chez les
«Prussiens», pas plus qu’il ne fut
appelé dans le Landsturm (la
territoriale) en 1914, déjà âgé de
quarante-cinq ans révolus. Son récit
n’est donc pas un récit militaire –
contrairement aux Cahiers d’un
survivant d’un autre Alsacien, Dominique
Richert, publiés à Strasbourg par
La Nuée bleue en 1994 – mais un
éphéméride des événements locaux et
internationaux des années 1914-1918,
assorti de commentaires très
personnels.
Notable, artisan de la résurrection du
vignoble alsacien à la veille de la
Grande Guerre, Hugel est un témoin
privilégié de ces événements. Comme
son voisin colmarien Hansi, de trois ans
son cadet, il appartient à cette
société francophile qui a subsisté
dans l’Alsace du début du XXe siècle
en dépit de la germanisation continue
de la province. Son Journal, écrit en
français, prend très souvent une nette
tonalité anti-allemande. Hugel décrit
aussi l’impact de la guerre sur un
village où l’on entend
régulièrement tonner le canon (le
Linge et le Vieil-Armand ne sont pas
loin), faite de privations, surtout en
1917-1918, de maladie, de mort aussi
bien sûr, avec les annonces
régulières de décès de compatriotes
tombés «pour le Kaiser et pour la
Patrie». Il illustre l’ambiguïté du
retour à la France, dont les
représentants, accueillis dans
l’enthousiasme le plus sincère en
novembre 1918, n’ont pas toujours su
conquérir les cœurs des «frères
retrouvés». L’incompréhension des
«Français de l’intérieur» et des
«revenants» (ces fils d’Alsaciens-Lorrains
qui ont émigré en France après 1870)
devant le particularisme alsacien, fait
notamment d’un attachement à un
dialecte et à un statut religieux
original, conduira à bien des
déceptions dans les années vingt, dont
les préliminaires apparaissent déjà
à la fin de cette chronique.
Document des plus éclairants pour
comprendre l’histoire tourmentée
d’une province ballottée entre deux
souverainetés au cours de son histoire
récente, ce récit a une portée qui
dépasse largement celle de
l’érudition locale.
Jean-Noël
Grandhomme
( Mis en ligne le
31/01/2004 )
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