En août 1914, 380 000 Alsaciens-Lorrains, tous nés
citoyens allemands, furent enrôlés dans l'armée allemande. Parmi ceux-ci :
Félix Waag, né en 1894 à Rufach (Rouffach), mobilisé avec son père, né en
1873, tous deux aïeux de François Waag, 36 ans, un professeur d'histoire et de
géographie qui partage ainsi la mémoire familiale et spécifiquement régionale
de la Grande Guerre.
On l'oublie trop, à chaque 11-Novembre : les Alsaciens-Lorrains ne
sont pas alors « Morts pour la France ». Ils vivaient dans un
Reichsland bien intégré à l'Empire, profitaient d'une législation sociale en
avance par rapport à celle de la France et portaient donc l'uniforme feldgrau.
Un grand nombre (16 000) d'entre eux furent mobilisés dans la Kriegsmarine
qui joua un rôle important dans le mouvement insurrectionnel des marins à
l'origine de la Révolution de novembre 1918. A leur retour en Alsace, qu'ils
aient été sur mer, dans les tranchées de l'ouest ou envoyés sur le front
russe, les Alsaciens-Mosellans, du moins ceux qui ne firent partie ni des 50 000
morts ni des 29 000 prisonniers, furent reçus par les nouvelles autorités
françaises « comme des prisonniers ennemis et emmenés sous bonne escorte
de troupes, baïonnettes au canon ». Une situation douloureuse, complètement
atypique en République.
Pour que ne se perde pas cette mémoire singulière et dramatique, il faut
lire le journal de 1914-18 du sous-officier Félix Waag, portant les mêmes prénoms
et nom que son grand-père dont l'atelier d'ébénisterie à Schlestadt (Sélestat)
flamba lors d'un bombardement prussien en 1870... Rédigé à la demande de Fränzi,
le petit-fils, alors que le vétéran de 14-18 avait déjà 89 ans, il fourmille
de détails, est illustré de photos, judicieusement annoté et complété. Un
certain témoignage de la particulière difficulté d'avoir été alsacien au
XXe siècle.
Que dire encore le Première Guerre mondiale ? Frédéric Hermann,
photographe-reporter, et Fabienne Tisserand, journaliste, ont choisi avant tout
de donner à voir. A travers un livre magnifique, ils proposent un voyage
partout où les combats fratricides ont marqué des terres, en France et en
Belgique : Yser, Lys, Artois, Somme, Marne, Meuse, Moselle, ballons des
Vosges. Les photos des paysages et des monuments dressés en mémoire des
milliers de vies sacrifiées sont accompagnés de textes minimalistes et justes,
didactifs ou signés par des écrivains français ou allemands ayant vécu la
Grande Guerre, comme Barbusse, Cendrars, Jünger, Remarque...
Aujourd'hui, ces lieux de mémoire et ces vastes nécropoles, exemples de
la déraison humaine, fascinent toujours. Ce livre se veut un hommage muet et
respectueux.
M. B.-G.
« Les deux Félix, 1914-1918 vu par un
combattant d'Alsace-Lorraine », présenté par François Waag, Jérôme Do
Bentzinger Éditeur, 28€. « Voyage au pays du souvenir 1914-1918,
sur les traces de la Première Guerre mondiale des Flandres à l'Alsace »,
la Renaissance du Livre, 45€.
© Dernières Nouvelles d'Alsace - Jeu 1 jan. 2004 | Fermer la fenêtre |