Écrites en allemand, traduites en français, voici les
lettres d'un jeune Alsacien qui aurait fait une carrière de violoniste si la
Deuxième Guerre mondiale ne l'avait pas broyé à 23 ans.
Avec le temps qui aiguise certains souvenirs de jeunesse et écarte les
tabous, de plus en plus de Malgré-nous -ces 130 000 Alsaciens-Mosellans
incorporés de force dans l'armée allemande- publient leurs mémoires. Ce livre
présente une particularité: il existe par la volonté d'un neveu de Malgré-nous.
Hugues Haemmerlé est né en 1943, un an avant la disparition à 24 ans de
son oncle. Pour lui, Frédéric Ludwig n'a jamais été qu'un nom sur une tombe
du cimetière de Graffenstaden. Mais « jusqu'à leur décès, nos
grand-parents ont espéré qu'il revienne de Russie. Notre mère n'a jamais pu
se résoudre à regarder un film retraçant la guerre de 39-45. Et l'Ave Maria
de Schubert au violon la faisait invariablement pleurer ».
Une émotion qui s'était nourrie des lettres envoyés par Frédéric à
partir de novembre 1938, alors qu'il était « soldat-musicien » dans
l'armée française, tout au long de l'année 39 quand il est au front et
s'accroche avec les « boches » puis, fait prisonnier et de retour en
Alsace, diplômé du Conservatoire de Strasbourg, devenu musicien au Théâtre
municipal de Mulhouse jusqu'en décembre 1942, avant d'être expédié sur le
front russe d'où il enverra sa dernière lettre en février 1944. Un courrier
forcément sujet aux contrôles mais qui laisse filtrer ses craintes et ses
secrets espoirs de désertion.
On ignorera toujours la fin de Frédéric, l'un des quelque 17 000
disparus alsaciens-mosellans dont les familles n'ont jamais pu faire réellement
le deuil.
M. B.-G.
« Lettres d'un Malgré-nous à ses parents »,
Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 25 €, édition établie par Hugues
Haemmerlé. Chez le même éditeur, Ulrich Richert relate six douloureux
itinéraires de jeunes du Sundgau de la même génération : « Incorporés
de force, Sundgau 1939-1945 », 21 €.
© Dernières Nouvelles d'Alsace - Jeu 1 jan. 2004 |